La pièce est vachement bien mais serait démente si une salle pleine était là pour réagir !
La pièce met quelques minutes à vous capter, c’est bon signe, le décor n’est pas explicitement planté, pas de sensation de déjà vu. Comme un bon roman qui vous sollicite sur plusieurs page avant que vous n’y trouviez les repères pour lire en roue libre : Saïda Churchill prend son temps, impose un style qui n’est pas prêt à l’emploi, le sien, des digressions intérieures drôles mais cultivées (ou l’inverse), une réflexion sans queue mais avec beaucoup de tête, une intelligence vive qui imprègne les gestes du quotidien. Une étudiante attardée, un appartement avec vu sur la seine, son amie afro au téléphone (la voix de Clair), Noam Chomsky. Un après midi de travail, elle finit sa thèse, potasse tranquillement entre une conversation avec le poisson rouge – elle entreprend de lui livrer les ficelles de la mécanique quantique - et le sketch « de la mère de Jésus » qu’elle répète (sans cesse interrompue par le téléphone, elle ne le jouera qu’à la fin de sa propre pièce : l’acmé comique du spectacle, Marie et le prophète prennent pour leur grade, et nous du recul avec la "Mahomet hysteria"). Les vannes fusent presque au détour de chaque phrase, pourtant on peine à distinguer les rires des spectateurs. Il faut dire qu’entre 10 et 15, on ne remplit par une grande salle comme le Déjazet (11e, République). Un jeudi, en février, à 19 h, les parisiens sont à l’apéro, ils sortiront plus tard, ou pas, car il fait froid. Dommage… Saïda est lumineuse d’engagement joyeux et de bons mots malins, parfois un brin militante (son antiaméricanisme ‘tertiaire’ – excellent gag au demeurant) mais c’est (bien) trop rare pour qu’on s’en plaigne ! On contraire, on se laisse tirer à sa suite, dans son défi permanent, ne jamais baisser la garde, lire entre les lignes, vérifier les sources, toujours comparer, ne rien prendre pour dit une fois pour toute, changer de point de vu, prendre de la hauteur, mettre en perspective, s’interroger… A un moment, seule dans le halo lumineux qui l’isole de la salle, assise face à nous, elle pose, se pose la question : ‘Pourquoi ?’ (être une emmerdeuse, ne jamais s’arrêter à rien ni nul part, gratter partout et tout le monde, là ou ça fait mal ?) Mais, pour vivre. Enfin, pour ne pas vivre comme un mort - pour être vivant !
En sortant on n’a envie d’écraser une fois pour toute nos restes de bête autosatisfaction. C’est vrai, des fois, on se dit qu’on n'est pas si mal, sous notre régime, c’est quand même une démocratie, alors on oublie d’en souligner les failles, on évoque la liberté de la presse quand on a qu’une minuscule poignée de médias indépendants, on rappelle comme une incantation l’héritage des Lumières et les droits de l’homme pour mieux oublier le reste, glisser sous le tapis la colonisation, les massacres, la spoliation, les tas d’ordures et de barbaries, la vérole des fondations de l’Occident…On s’assoupit. Saida Churchill nous réveille, c’est marrant et quand on sort on se sent plutôt moins con qu’en entrant (c’est mieux pour ouvrir l’appétit et aller se taper un gueuleton entre amis). Sur Billet Réduc la place est vendue 10 euros, une bouchée de pain. La pièce est vachement bien mais serait démente si une salle pleine était là pour réagir, c’est tout ce qui manque, alors n’hésitez pas à aller grossir les rangs ! Aucun risque c’est testé et approuvé : la couverture presse est excellente (de l’hyper exigence alternative de Charlie Hebdo au consensus mou de Zurban, ça adhère). Alors que font les spectateurs ? Que faites vous ?
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