La Nostalgie des Blattes

Vieille 1 et Vieille 2, on ne connaît pas leur état civil, au milieu de nulle part, elles sont assises comme sur un ilot perdu dans l'espace temps, exposées comme dans un musée. Deux ultimes vraies vieilles, qui font partie d'une espèce en voie de disparition, d'un monde où on ne mange plus ni gluten, ni sucre et où rôde une brigade sanitaire, attendent. Elles s'exposent comme des animaux de foire les effets du temps sur leur corps sans collagène, ni bistouri, ni Botox. Elles attendent quelqu'un, un passant, un client, un fils. Mais personne ne vient...

Scotchées chacune sur son siège, les deux bonnes femmes avec le caractère teigneux, de vraies chipies, commencent par se détester, elles se battent pour garder leur place, préserver leur pré-carré tel deux sales gamines, mais au fur et à mesure de la cohabitation forcée, en découvrant des souvenirs communs, leur sororité se dégage. Si vous êtes vieille c'est que vous avez été jeune ! Sans aucun cabotinage, elles jouent sur tous les registres vachards, offrant ainsi à ces deux vieilles dames indignes une belle et grande humanité. Elles finissent par s'unir, peut-être même par se lever, pour quitter ce monde aseptisé où elles en viendraient à avoir la nostalgie des blattes.

Ils ne sont pas si nombreux les textes de théâtre qui traitent de ce sujet, la vieillesse, encore moins avec l'insolente et jouissive acuité de Pierre Notte. C'est poétiquement génial et génialement poétique. Eric Leblanc met le spectateur face à deux femmes, deux vieilles dames indignes, qui nous offrent une belle et grande humanité. Un plateau nu, sans aucun décor. Juste deux podiums, deux chaises. Pour la mise en ambiance, quelques nuances de lumière assez discrètes, un peu de musique et le bruit récurrent d'un drone

C'est perché, intelligent. On en ressort plein d'affection et de remises en question. Un spectacle nécessaire qui interpelle fortement chacun d'entre nous.