Le collectif l’Emeute propose un Jeu de l’amour et du hasard bien enlevé, respectant Marivaux et la liberté d’aimer celle ou celui que l’on désire.
Quelques mesures de l’Entrée des sauvages, tirée des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau, ouvrent et referment ce bondissant Jeu de l’amour et du hasard, de Marivaux, joué pour la première fois en 1730. L’opéra-ballet, lui, date de 1735. Ce rapprochement de calendrier est à peu près le seul point entre ces deux œuvres. Sinon qu’elles sont depuis devenues célèbres et sont toujours abondamment jouées. Sinon aussi qu’elles abordent le grand thème remâché de la «galanterie» du temps de Louis XV....
Les lumières de Marivaux continuent à éclairer notre monde
Au Lucernaire, Frédéric Cherbœuf met en scène remarquablement Le jeu de l’amour et du hasard avec une troupe de jeunes comédiennes et comédiens de grands talents. Frédéric Cherbœuf nous offre une version magnifique du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. Grâce à lui, les artifices du badinage éclate de mille feux. Il a placé l’intrigue dans une grange décorée en guinguette. On peut imaginer qu’elle se situe au fond du jardin d’une demeure bien bourgeoise et qu’elle est l’endroit de leurs divertissements. Tel une mise en abîme, le metteur en scène y fait évoluer les personnages qui, on vous le rappelle, se travestissent pour jouer un autre rôle que le leur, sous le regard du père et de son fils. Durant toute la représentation, lorsqu’ils n’ont pas à être sur scène, ces «deux spectateurs» sont dans la salle, à nos côtés, prenant, comme nous, bien du plaisir à regarder marivauder ces jeunes gens en quête de vérité.
La pièce de Marivaux, écrite en 1730, est vive, alerte, subtile. Plus cruelle qu’il n’y paraît aussi, qui met en avant les différences sociales, les secoue et les fait trembler, avant que tout ne rentre dans l’ordre à la fin. La mise en scène de Frédéric Cherboeuf laisse peut-être dans l’ombre cet aspect-là pour célébrer surtout l’impérieux désir de liberté des corps amoureux. Lire la critique dans la sélection du Off d’Avignon 2023
Le Collectif «L'émeute», né de la rencontre d’une dizaine de jeunes comédien.ne.s et professeurs du Cours Florent, explore Marivaux avec bonheur et avec une énergie contagieuse !
Pour sonder la sincérité de Dorante, le prétendant qu’on lui destine sans qu’elle ne l’ait jamais rencontré, Silvia se fait passer pour sa servante Lisette, et vice versa. Mais, ce qu’elle ignore, c’est que Dorante a recours au même stratagème avec son valet Arlequin… quiproquos et rebondissements vont pouvoir s’enchainer ! Le «traitement» des personnages du père et du frère, parfois un peu laissés de côté, est également très pertinent.
Et si les femmes tentent de ne pas s’y laisser faire, personne ne sortira indemne de ce jeu de dupes et de manipulations. Dans une scénographie entre théâtre en plein air, kermesse ou bal populaire, les préparatifs du mariage vont vite friser parfois plus la tragédie que la comédie…
Pour sonder la sincérité de Dorante, qu’on lui destine sans l’avoir jamais rencontré, Silvia échange son habit avec sa servante Lisette. Ce qu’elle ignore, c’est que son prétendant a recours au même stratagème avec son valet Arlequin. Ainsi travestis, les deux couples seront donc les dupes de ce jeu de hasard et d’amour orchestré par le père de Silvia et son fils Mario. Parviendront-ils à sortir de ce cruel labyrinthe amoureux ? C’est évidemment tout l’enjeu de ce scénario génial, épuisant pour ceux qui en sont les victimes, réjouissant pour ceux qui les manipulent.
Dissection du sentiment amoureux et insurrection de la jeunesse : une insatiable quête de vérité.
Le jeu de l’amour et du hasard, au-delà des époques, porte sa charge de révolution contre des privilèges ancestraux.
Un père, Orgon, comme il était de coutume au XVIIIe siècle, et jusqu’à aujourd’hui dans certaines sociétés, organise le mariage de sa fille, Silvia. Cette dernière, peu enthousiaste à l’idée même de se marier, propose de prendre la place de sa servante Lisette, afin de sonder le caractère de son futur époux. Le père y consent d’autant mieux que, du côté du promis, le même stratagème est mis en place. Orgon et son fils Mario tirent, avec jubilation, les ficelles de cette comédie, convaincus que la naissance de chacun des protagonistes évitera les élans contre nature de deux classes –maîtres et serviteurs- que tout oppose, jusqu’en amour. Orgon, qui voue grande affection à sa fille, saura mettre fin à ses souffrances, après les avoir exacerbées et avoir joui de la duperie et des malentendus qu’il a échafaudés.