
Avis et critiques : Le Show Claude François par Bastien Rémy
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10/10
Tu n’es rien. Je suis Quelqu’un. Vois qui tu es, vois qui je suis… Je peux te voler, t’humilier, t’imposer mes diktats, t’interdire de parler, croire légitime de vouloir confisquer ta pensée, vouloir te réduire, te trahir sans vergogne. Tu es sauvage, malade, dans la fabulation, fou, folle, un fonds méchant, sous-homme… Tu n’es rien. Regarde quelle est ma gloire travaillée par aucun doute, rassuré par mes amis, des belles âmes, qui pensent comme moi, je le prétends, sans te connaître ni entendre ce que tu as à dire. Mesure ma toute puissance que je refuse d’appeler mauvaise foi, cynisme, délire jusqu’au Crime Collectif et Organisé, accepté par les hommes de grande bassesse faute de Vertu dans les époques les plus noires. Je suis le Petit Père des Peuples, Le Génie des Carpates, Le Danube de la Pensée, je suis Le grand Timonier… Je suis le Fuhrer et ma cohorte de monstres muraillés dans nos convictions. Je suis Le Sens Commun prisonnier de la Caverne et, car bien fragile, je suis sûr de tout… Tu n’es rien… Cette phrase encore entendue depuis peu confirme les mécanismes de toute pensée totalitaire tout en révélant que beaucoup encore n’ont rien compris à l’altérité et aux leçons que l’on devrait tirer définitivement. Après avoir vécu la guerre d’Espagne, ses massacres et ses hommes en exil, les massacres d’Arménie, les terribles purges staliniennes, l’enfer chinois de Mao Zedong, les purifications ethniques… rien de compris ? Après Auschwitz, peut-on penser de la même manière sans porter honte à la pensée et à l’humanité ? Ah ! Tandis que fleurissent les beaux discours, comme se révèle plus ou moins lentement, parfois de façon inattendue, brutale ou rampante, l’absence terrifiante de conscience réelle ! Seule une petite musique rappelle du fond de la nuit ce que l’homme peut avoir de meilleur dans cet océan du pire. C’est précisément de cela qu’il s’agit à travers le récit autobiographique de Wladyslaw Szpilman, initialement La Ville qui meurt devenue The Pianist, où à travers la révélation de la musique, au milieu de ce champ de ruines qu’est le ghetto de Varsovie, un officier SS est en quelque sorte frappé par la grâce et redécouvre à ce propos sa part d’humanité qui lui était occultée. L’officier fera tout pour que son alter ego humain échappe à l’inexorable mécanisme de la Shoah. Situation hautement peu probable, d’une fréquence rare mais possible - tous les Justes en témoignent - montre qu’une prise de conscience peut avoir lieu n’importe où et n’importe quand. Robin Renucci interprète cette situation avec beaucoup de retenue et nous fait sentir combien l’art est salvateur, l’homme tenace à vivre porté, même au coeur d’un univers de destruction et de chaos, par l’espérance. Le film de Roman Polanski sorti sur les écrans en 2001, Palme d’Or du Festival de Cannes en 2002, avaient laissé les traces des œuvres fortes avec l’interprétation si admirable de tous les acteurs, particulièrement d’Adrien Brody et Thomas Kretschmann. On pouvait craindre que le théâtre n’ait pas les moyens de porter au mieux la tragédie personnelle du compositeur et musicien polonais, dès 1935 dans Varsovie assiégée, pilonnée, allait voir sa famille détruite, déportée jusqu’aux camps de la mort, et sur fond d’apocalypse six cent mille Juifs assassinés dans le ghetto encerclé. Avec subtilité, le metteur en scène Cécile Guillemot a évité l’écueil qui aurait été de faire du « sous Polanski ». Pas de reconstitution du ghetto dans ce beau théâtre des Bouffes du Nord mais l’utilisation de sa configuration architecturale qui, avec ses hauts piliers et un mur de fond pictural, rude mais éclairé avec finesse, crée par une atmosphère de ruines un espace scénique propre à mettre en valeur, sans facilité, un monologue très profond. Une chaise, un piano, un tabouret. Une pénombre. Deux hommes et un dialogue entre la musique et ce fugitif de l’enfer qui témoigne de l’horreur. Pudeur, silence, beauté, le chant des mots et de la vérité pour dire l’Impensable. La ville désorganisée, les raids aériens, Radio Pologne coupée, les files d’attente pour se nourrir, très vite la famine, la saleté, la maladie, les rafles,les exécutions sommaires, l’enfermement dans le ghetto, la mort attendue partout, dans les caves, les immeubles, à chaque coin de rue. L’obsédante question de la survie. Robin Renucci émeut non parce qu’il joue à être un personnage qu’il n’est pas mais parce qu’il porte le récit du fond de sa propre humanité. Pas de geste sans signification, pas d’inutilités, pas d’insignifiance. Doté d’un beau timbre de voix et d’une diction très maîtrisée, le comédien, se cadrant sans écart à une scénographie intentionnellement sobre, rend possible un duo poignant entre la voix et la musique. Les Préludes de Chopin interprétés avec sensibilité par Mikhail Rudy répondent, sans nuire, aux mots du survivant, à ce témoignage de rescapé. Et si l’on écoute aujourd’hui les compositions de Wladyslaw Szpilman ou le Nocturne en do dièse mineur de Chopin qu’il interprétait en septembre 1935 au moment des premiers bombardements de Varsovie, qu’il joua six ans plus tard en hommage à tous les morts du ghetto, l’on pourra imaginer que sa vie révèle le manque d’entendement et la haute indécence du « Tu n’es rien. » que des esprits noirs se donnent le droit d’assener à tort et à travers sans en mesurer les dégâts. Nécessaire inconscience du bourreau. Pour s’en persuader tout à fait, l’on pourrait lire encore Archives clandestines du ghetto de Varsovie ou Des Voix sous la cendre… grands textes qui mériteraient aussi de trouver des metteurs en scène de talent et de grands interprètes. Marie-José Pradez (La Théâtrothèque)
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